SUR MON SATELLITE / LIBRE

il avait vu l'eau briller loin de lui, encerclée de pierres, comme un petit lac.
il s'était assis sur le rebord de la même façon qu'il s'asseyait sur une chaise contemplant la surface bleutée de la fontaine.
il regardait les statues aussi. des dieux et des déesses à moitiés nus, avec des visages bienveillants, semblaient couver de leurs regards ses boucles mouillées part l'embrun.
marin mangeait une banane, qu'il avait trouvé sur le marché tantôt, abandonnée entre un rouleau de scotch et deux pinceaux tâchés de peinture blanche. le goût lui rappelait que c'était l'été et il aimait bien croquer des fruits à pleines dents sous ce soleil éclatant.
des ouvriers au loin étaient en train de réparer quelque chose, il entendait le bruit de leurs perceuses et celui de leurs marteaux. c'était un petit peu parasite dans cette tranquilité trop paisible.
il ferma les yeux.
marin se sentait dans un autre monde, près d'aphrodite. il se sentait comme sur un satellite, en orbite à des milliers de kilomètres de la population agitée.
mais quand il les rouvrit, il vit dans une ombre dans la fontaine.
il se retourna.
en contre jour, le soleil lui masquait un visage souriant.

les rayons vicieux, doux et brûlants faisaient perler sa peau,
il ne connaissait que trop bien son état lorsque le soleil tapait.
il lui aura fallu une journée entière sous les stands bancals du marché pour sentir ses jambes trembler, gosse résistant qui en avait vu pire,
enfant soleil d'un éternel été.
et ce garçon aux cheveux bouclés qui avait pris une banane sans demander, qu'il n'avait pas eu la force de rattraper. le soleil n'allait pas tarder à se coucher, il prend son panier rempli de fruits plus assez bons pour la vente, trop mûrs, les laissés pour compte, un peu comme lui
mais la mer était trop loin,
le soleil trop proche
il s'est assis au bord de la fontaine, les yeux clos, les statues plus hautes que le ciel comme si elle désapprouvaient son péché.
peut être qu'en se baignant il deviendrait immortel,
ou un dieu,
et même s'il n'a jamais rien voulu de tout ça, il s'est laissé glisser, tout habillé.
les vêtements flottent comme un halo autour de son corps encore un peu faible, l'eau glacée contre sa peau. quand il se redresse, il reconnaît les cheveux bouclés à contre-jour, et son sourire se dessine, naturellement. sans sortir de l'eau, fiore attrape son sac en forme de filet, en sort un autre fruit, un peu abîmé. rien qui n'effraie les enfants de l'île, encore moins les affamés.
"tu en veux une autre?"

marin ne connaît pas de sirène, mais l'homme-poisson qui sort de l'eau lui fait les mêmes échos, autre que celui des perceuses incessantes des ouvriers maladroits.
non, l'homme qui sourit a un autre timbre, plus cristallin, pur, métamorphosé.
pailleté, venu d'un autre monde, il s'avance vers lui, souriant.
marin se dit qu'il est la plus belle sirène de l'univers, s'il se baigne dans la fontaine d'aphrodite.
il se demande même si il est réel.
il est toujours sur le rebord et semble ne pas vouloir décoller de sa chaise provisoire, mais l'appel de l'eau est irrésistible. il laisse pourtant ses pieds dans la surface ondulante, et regarde le nageur.
il ne se sent plus sur son satellite, seul, marin se demande s'il a trouvé un ami.
un ami qui lui tend une autre banane.
"je veux bien oui. j'ai le droit ? c'est vrai ?"
marin n'a rien mangé, il a faim. son ventre gargouille, c'est comme un concerto.
il rougit.
"je croyais que la première avait été oubliée, elle était à côté du scotch. ce n'est pas un endroit où mettre les bananes." qu'il dit, en mot d'excuse.
il lui sourit en retour, pas très malin.
"tu viens des dieux ?"

il fait des vagues dans l'eau, bambino,
l'eau sacrée autour de lui se répercute en écho.
quand il sort ses vêtements sont trempés, et il se sent idiot d'avoir plongé tout habillé.
il se rapproche de l'enfant pas si inconnu, souvent vu, parfois observé.
il a l'habitude de se renfermer sans être découvert, il se cache derrière ses étales, ses objets
les vagues,
parfois.
il lui tend la banane avec un sourire encourageant, ce n'est pas la première fois qu'il partage un repas, petit estomac. il y en a toujours trop pour lui tout seul. et il hausse les épaules.
"tu n'es pas un voleur. plutôt un rêveur. moi aussi je prends des fruits, parfois. ils devraient être à tout le monde, c'est la nature qui nous fait des cadeaux."
il se pose au bord de l'eau, à côté de lui, les jambes dans le liquide béni. un petit rire d'enfant qui sort de sa bouche après ses mots à l'accent à couper au couteau. parfois il se demande si les gens le fuient, parce qu'ils ne le comprennent pas. la manière dont sa langue fourche et roule en a dérouté plus d'un.
"je ne viens pas plus des dieux que toi du soleil. mais je pense que nous pouvons tous les deux venir des fonds marins." il a sur sa peau gravés le sel et les embruns. Bambino a eu l'habitude de voir des sirènes, lui qui a pourtant tout du naufragé. c'est peut être pour ça qu'avec son bateau, il ne fait qu'un.

marin l'enfant étoile de mer prend la banane que lui tend le garçon. ce dernier lui dit qu'il n'est pas un voleur mais plutôt un rêveur. est-ce qu'on peut rêver de voler ? il ne le sait pas.
pourquoi les bananes sont-elles jaunes ? qu'il demande, à tout hasard. c'est vrai, pourquoi ne serait-elles pas roses ou bleues ? est-ce qu'un dieu des bananes les peint quand personne ne s'y attend ? fixe-t-il grâce à du scotch du papier jaune sur les fruits ? marin ne comprend pas tout à la vie (il y a tant à découvrir dans ce monde inconnu).
il y a par exemple l'accent rigolo du garçon poisson. marin lui, a l'accent grec. il lui semblerait qu'il a toujours parlé comme ça, même si avant il en avait un autre, enfin, il ne sait pas. les mots ne viennent qu'avec le temps. il s'était échoué et puis il avait du recommencer. il avait oublié l'avant.
le garçon dit qu'il vient des fonds marins. marin.
marin vient-il d'un quelconque soleil ? ou d'un satellite (il avait découvert ces étranges engins qui volaient dans le vide, aux multitudes de pièces qui brillaient depuis le sol, fixés par des millions de clous ou de vis vissées par d'innombrables perceuses. il les avait trouvés dans un magazine à côté de chaises et de pubs pour les shampoings) ?
marin se plaisait à penser qu'il venait de nul part. où était sa maison ? qui était ses parents ? en avait-il ? tant de questions restées en suspend.
des fonds... marins ?
je m'appelle marin ! dit marin.
je voudrais bien moi aussi me baigner dans ta fontaine.
alors, sans pudeur (il ne la connaît pas), marin se dévêtit, complètement.
son corps plonge dans l'eau glacée mais pas trop et quand il remonte à la surface, il regarde le garçon poisson.
et toi, tu t'appelles comment ?

Contenu sponsorisé