Pour la dix millième fois, Nia ouvre son ordinateur et entreprend de lui écrire un mail. Un putain de mail. On fait difficilement plus impersonnel mais ça lui donne au moins la chance de choisir ses mots. Elle n'aurait jamais le courage de l'appeler de toute façon, et encore moins de le voir.
Ses doigts commencent à s'activer sur le clavier.

« Salut,
J'espère que tu vas bien. On est rarement restés aussi longtemps sans se donner de nouvelles. Alors me voilà. »

Et hold on to your seat, c'est une sacrée nouvelle qu'elle s'apprête à écrire là, si loin de la banalité de ses premiers mots. Elle lève les yeux au ciel et continue.

« J'aurais dû te le dire avant. J'ai été conne. Tu vas me détester et je vais me détester mais il faut que tu saches.»

Rien ne lui vient correctement. Chaque mot semble sortir tout droit d'un mauvais feuilleton télé à l'américaine. Pourtant elle ne s'arrête pas.

« J'ai un fils. Sam. Il est formidable. Il est drôle et curieux de tout. Il veut devenir pompier et champion de basket, comme la plupart des petits de 7 ans j'imagine. Il est gentil, si doux, comme un agneau et si plein d'énergie à la fois, c'est une véritable pile électrique. Il me fait penser à toi. Chaque jour un peu plus d'ailleurs. »

Elle fait une pause d'une seconde pour calmer les tremblements dans ses doigts.

« J'ai voulu te le dire mille fois. Quand j'ai su que j'étais enceinte tu avais déjà quitté Athènes. Et on s'est très peu croisés ces dernières années. Tu avançais de ton côté et je n'ai pas trouvé le courage de te parler de lui. Chaque fois c'était un peu plus difficile. On n'était plus aussi proches. Comment caser cette infos entre quelques banalités sur mon boulot ou ton nouvel appart ? Je ne voulais pas t'imposer quoi que soit, ni même t'obliger à quoi que ce soit. »

Ce sont les petites phrases stupides qu'elle se passe en boucle lorsqu'elle essaye de se dire que ce n'était pas une mauvaise ide de garder le secret. et puis trois mots lui viennent à l'esprit. Mensonge par omission. Elle entend encore sa meilleure amie lui répéter qu'il pourrait l'attaquer en justice pour la garde de Sam avec cet argument et qu'il serait sûr de gagner. C'est pour éviter ce genre de remarques qu'elle n'a jamais dit à ses parents qui il était. La version officielle fait état d'un illustre inconnu rencontré dans un bar et disparu aussi vite. Un coup d'un soir, rien de plus. C'est le mensonge qu'elle sert à Sam, le cœur serré lorsqu'il lui arrive de l'interroger sur son père. Mais le gamin se rend bien compte de la peine que causent ses questions.

« Je ne dis pas tout ça pour que tu viennes ou que tu me donnes de l'argent ou je ne sais quoi. Je veux juste que tu saches qu'il est là. Je gère très bien toute seule, il ne manque de rien. »

Faux. Faux, archi-faux même. Elle ne gère plus rien du tout. Elle a quitté la fac dès qu'il est devenu trop évident qu'un bébé se cachait sous ses pulls larges et est rentrée à Kalokairi. Ses parents l'ont aidée la première année. Elle a travaillé dans leur restaurant quelques temps avant de trouver un emploi à l'auberge comme femme de chambre. Jusque là, tout allait bien. Elle rencontre même un type quelques années plus tard. Ils achètent un appartement, parlent enfants et mariage avant qu'il ne disparaisse complètement du jour au lendemain et lui laisse sur les bras des milliers d'euros de dettes. Elle a tout vendu, s'est installée chez ses parents avec Sam et espère réussir à rembourser ce qui reste au cours des deux, trois voire quatre années prochaines.
En attendant, elle enchaîne les heures supplémentaires à l’hôtel dans la journée et les services au restaurant le soir. Chaque centime est comptabilisé, et précieusement conservé.

« Vraiment, tout va bien.
Je t'embrasse.
Nia »

Comment finir une lettre où tu annonces à un ami perdu de vue qu'il a un fils de sept ans dont il n'a jamais eu connaissance ? Elle relit le mail une nouvelle fois et lâche un long soupir. Elle sélectionne le texte, appuie sur la touche suppr du clavier et referme son ordinateur. Encore une fois, écrire lui a fait du bien, mais encore une fois, elle s'est dégonflée. De toute façon, jamais elle ne lui annoncerait la nouvelle par mail.
Elle ronge l'ongle d'un de ses pouces quelques secondes et se décide à aller se coucher. Encore une longue journée l'attend demain.

pseudo/prénom : Happ âge : 23 ans t'es où ? : L'ouest un mot ? : Pizza ? ton légume préféré : Brocoli forever le smiley qui te fait vibrer :    crédits images : ava : Lux Aeterna,  Icons : Night Sky,